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Méditation - Mercredi des Cendres 2024



« Maintenant – oracle du Seigneur – revenez à moi de tout votre cœur… Revenez au Seigneur votre Dieu ! » (Jl 2) : cette injonction, dans la bouche du prophète Joël, est le porche des lectures du Mercredi des Cendres que nous entendrons à l’Eucharistie tout à l’heure.

« Revenez » ou, sous une autre forme qui nous est habituelle en ce temps de Carême, « Convertissez-vous ».

« revenir », « se convertir » définit la même attitude.

Cet appel retentit maintes fois dans la bouche des prophètes, au nom de Dieu :

Par Isaïe : « Revenez donc, fils d’Israël, vers celui que vous avez gravement trahi » (31, 6)

Par Jérémie : « Revenez, fils renégats ! Je guérirai vos infidélités » (3, 22)

Par Ezéchiel : « Retournez-vous ! Détournez-vous de votre conduite mauvaise. Pourquoi vouloir mourir, maison d’Israël ? » (33, 11)

Par Zacharie : « Ainsi parle le Seigneur de l’univers : Revenez à moi – oracle du Seigneur de l’univers –, et je reviendrai à vous… » (1, 3)

On pourrait en citer beaucoup d’autres…

« revenir, se convertir », c’est l’attitude de la personne qui se détourne de sa voie non ajustée, et se tourne vers le Seigneur.

 

Pour les moniales que nous sommes, ce n’est pas seulement une attitude, mais un vœu.

Le jour de notre Profession, nous nous engageons par un triple vœu : stabilité, obéissance et conversion de vie.

Sur le seuil de ce Carême, temps favorable, cadeau du Seigneur sur notre chemin vers Lui, vers Sa Pâque, je voudrais m’attarder un peu à ce vœu de « conversion ».

Les sœurs savent que, dans les manuscrits de la Règle de Benoît, il y a deux variantes en latin : conversio ou conversatio, « conversion, conversation ».

Je ne voudrais pas vous noyer dans l’exégèse technique de la Règle bénédictine, mais seulement offrir des harmoniques à cet appel à la conversion.

Il me semble que les deux sens, « conversion, conversation », peuvent s’éclairer l’un l’autre.

Ils peuvent en tout cas nous rejoindre, chacun(e), en ce premier jour du Carême.

 

L’appel à la conversio nous renvoie à la conversion.

Cette notion de « conversion » appartient à l’essence de la vie monastique.

Le terme se trouve au début et à la fin de la Règle de St Benoît.

Dès le Prologue, Benoît identifie « conversion » et « vie religieuse ».

Je cite St Benoît : « À mesure que l’on progresse dans la vie religieuse et dans la foi, le cœur se dilate, et l’on court dans la voie des commandements de Dieu, avec la douceur ineffable de l’amour » (Pr., v. 49).

Le terme se trouve aussi à la fin de la Règle, au dernier chapitre, où Benoît parle de notre engagement comme d’un « commencement de vie monastique » (73, 1).

L’engagement monastique est de part et d’autre identifié à une « conversion ».

La réalité d’une « conversion » se situe aux antipodes du découragement.

Se convertir, c’est se retourner, se relever, ne jamais être arrêté par nos échecs, nos chutes, nos découragements ou notre péché.

St Antoine, le Père des moines, disait : « Aujourd’hui, je commence ».

Ce vœu relance notre Espérance, enracine notre confiance et nous convainc qu’il n’est jamais trop tard…

C’est à la même conclusion que nous amène le Carême : Il n’est jamais trop tard !

Et singulièrement, le message de Paul aux Corinthiens, dans la deuxième lecture de ce Mercredi des Cendres, nous oriente dans le même sens :

« Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut ! » (2 Co 6)

 

L’autre terme, la conversatio, revêt une signification un peu différente, mais qui se trouve en lien avec celle de la conversio.

J’emprunte cette interprétation à un abbé bénédictin anglais, le Père Christopher Jamison [1].

Le premier sens de ce terme de « conversation » est de « vivre avec quelqu’un ». On n’emploie plus guère le terme dans ce sens aujourd’hui.

En revanche, il s’est ensuivi un second sens, désormais courant, de « parler avec quelqu’un » : tenir une « conversation ».

Ce sens peut nous aider, laïcs et moniales, à entrer en ce temps de Carême, dans une disposition renouvelée.

Selon ce terme de conversatio, le vœu du moine bénédictin consiste en une ferme résolution de vivre avec d’autres.

Vivre avec d’autres implique de converser, de parler avec eux.

Dans nos Communautés humaines, qu’elles soient familiales ou monastiques, l’interaction n’est pas toujours aisée, chacun(e) de nous peut en témoigner.

 

Or, selon Benoît, ce vœu de « conversation de vie » laisse percevoir combien l’expérience de l’interaction réciproque est centrale dans sa vision de la spiritualité.

Ce n’est pas étonnant, car notre Dieu est un Dieu « Trinité » : Père, Fils et Esprit-Saint.

Pour évoquer ce Dieu-Communion, j’ai plaisir à vous citer un prêtre Suisse, un grand auteur spirituel du siècle dernier, Maurice Zundel, dont voici un extrait :

« En Dieu, il n’y a pas un Moi unique, un Moi solitaire, un Moi rivé à Lui-même, mais trois foyers, trois foyers de lumière, trois foyers d’amour et de communication, où toute la Vie Divine constamment se renouvelle dans un Don inépuisable. Le Père ne se regarde pas : Il n’est qu’un regard vers le Fils, qui n’est qu’un regard vers le Père ; et le Père et le Fils ne s’idolâtrent pas : Ils ne sont qu’un élan vers le Saint Esprit qui respire le Père et le Fils »[2].

Cette Vie divine qui se communique, Dieu nous la partage.

À notre tour, il nous faut la répandre : telle est notre mission de chrétiens.

Ce Dieu Communion, nous sommes invités à L’incarner et Le refléter en nos relations humaines.

Par ce vœu de « conversation de vie », Benoît veut nous révéler combien il est conscient que la vie commune est non seulement un défi, mais le défi majeur, voire le témoignage essentiel de la vie monastique.

C’est aussi le témoignage de tout chrétien dans ses relations interpersonnelles.

Nous nous situons dans un monde où l’on a tendance à choisir et donc à exclure.Les réseaux sociaux en font foi : nous fréquentons ceux qui nous ressemblent, nous tissons des liens avec ceux qui pensent comme nous. Nous sommes alors confirmés dans nos points de vue, plutôt qu’invités à un vrai échange, à nous enrichir dans la découverte de la différence.

En revanche, la vie monastique lance le défi de vivre avec une Communauté que j’ai choisie certes, mais avec des personnes singulières que je découvre au fil des expériences et des années.

Cet aspect de « non-choix » peut rejoindre l’expérience des couples et des familles : mon conjoint, mon enfant, mon parent a une facette que j’ignore ou avec laquelle je ne suis pas nécessairement en accord… et qu’il me faut apprivoiser.

Ce temps de Carême ne serait-il pas un moment favorable pour faire le point à propos de notre « conversation » ?

Dans nos communautés, qu’elles soient monastiques, familiales, ecclésiales ou professionnelles, il peut être opportun de réfléchir à notre manière de favoriser une « saine conversation ».

Quels sont les outils que Benoît offre sur ce chemin de la « saine conversation » ?

Je pointe trois instruments.

  • Le premier est une « bonne parole » : Dans son chapitre sur « L’appel des frères en Conseil », Benoît écrit : « Ce qui nous fait dire qu’il faut consulter tous les frères, c’est que souvent Dieu révèle à un plus jeune ce qui est meilleur » (RB 3, 3). Chacun est invité à apporter sa contribution. Œuvre d’individualité plutôt que d’individualisme. L’individualisme revient à faire ce que l’on veut comme on veut, sans tenir compte des autres. En revanche, l’individualité consiste à apporter sa pierre à la vie de la communauté, même si ce n’est pas toujours facile de prendre sa place et d’exprimer un avis.

  • Le second instrument que propose Benoît, c’est une bonne écoute : Pour favoriser une saine conversation, l’écoute a autant sa place que la parole ! La disposition à écouter est fondamentale. L’injonction « écoute ! » est le premier mot de la Règle de St Benoît. C’est une attitude de réceptivité pour faire entrer en soi la parole entendue.Il ne s’agit pas d’une écoute superficielle, mais d’une écoute du cœur : « Incline l’oreille de ton cœur », écrit Benoît dans le Prologue (v. 1). Cette écoute va bien au-delà des mots. Elle aboutit à la conversion du désir et de la conduite pratique. Cette écoute profonde ouvre à l’autre, quel qu’il soit.

  • Enfin, le troisième et dernier instrument d’une saine conversation est la place laissée au silence : Pouvoir garder le silence pour écouter en vérité et authenticité est le complément indispensable du bien parler. Laurence Freeman, qui a contribué à la diffusion de la méditation chrétienne, établit un lien étroit entre écoute et silence. Je le cite : « Le Verbe – la Parole – s’incarne parmi nous et en nous. Nous devons réapprendre le silence, le respect que nous devons à sa présence. Pour réapprendre à écouter, nous devons d’abord apprendre à être silencieux » [3]. Dans cette place laissée au silence, se découvre la place de Dieu… et l’inspiration de son Esprit. Faire silence, pour laisser Dieu agir, nous inspirer, guider nos vies et nos paroles. Faire silence, afin qu’Il puisse déposer en nos cœurs la bonne parole et qu’Il nous donne en partage l’écoute authentique.

 

En ce Mercredi des Cendres, le Seigneur nous propose un temps favorable !

Le Carême qui s’ouvre devant nos pas nous offre l’opportunité de laisser grandir en nos cœurs cette disposition à la conversion et à la conversation de vie.

Pour ce faire, suivons le conseil que Benoît nous livre en son chapitre sur le Carême, à savoir « d’effacer, en ces jours saints, toutes les négligences des autres temps » (RB 49, 3).

Revisitons notre quotidien, comme nous y invite l’évangile, en nous « retirant dans la pièce la plus retirée, en fermant la porte, et priant notre Père qui est présent dans le secret » (Mt 6).

Afin que cette conversion, cette conversation s’incarnent, se concrétisent en nos vies.

Sur ce chemin, joignons nos voix à celle du psalmiste, dans le psaume de l’Eucharistie de cette entrée en Carême : « Rends-moi la joie d’être sauvé ; que l’esprit généreux me soutienne ! » (Ps 50).

Oui, cette invitation à la conversion, à la conversation, n’est pas tristesse, mais joie !

Benoît nous invite, lui aussi, à cette même joie : chacun de nous « attendra la sainte Pâque avec la joie du désir spirituel » (RB 49, 7).

 

Que le Seigneur nous guide sur le chemin… Bien plus, Il nous y précède !

Suivons-Le dans la confiance et l’Espérance…

 

 

Sr Marie-Jean Noville (14 février 2024)

 

 


 

[1] Chr. Jamison, Découvrir son monastère intérieur. Conseils spirituels pour la vie quotidienne, traduit par Th. Paillard, Paris, Presses de la Renaissance, 2008, p. 153-158.

[2] M. Zundel, Je parlerai à ton cœur, Sillery (Québec), Anne Sigier, 1990, p. 97.

[3] L. Freeman, La méditation, voie de la lumière intérieure, traduit par M.-L. Constant, s.l., Le Jour éditeur, 1997, p. 26.

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