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Aujourd'hui - Monition du Mercredi des Cendres 2025


« Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut ! »

Cette annonce se trouve dans la 2e lettre de St Paul aux Corinthiens, dont on entendra un extrait à l’Eucharistie.

Cette parole est pleine d’Espérance et reflète l’esprit de la liturgie de ce Mercredi des Cendres, premier jour du Carême.

Et pourtant, lorsqu’on dit le mot « Carême », il s’apparente plutôt à des « mines de Carême », à des renoncements, à des privations, voire à des frustrations.

Et si nous regardions ce temps de Carême d’une manière nouvelle ?

Pas seulement en discernant déjà à l’horizon la fête de Pâques, qui nous délivrera précisément de ce temps de Carême, mais en percevant dans la liturgie de ce jour, la disposition intérieure qui doit animer nos cœurs en ces 40 jours qui nous conduiront à Pâques.

Le verset de l’acclamation va guider ma méditation :

« Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur ! »

La citation est extraite du Ps 94, que nous chantons chaque matin à l’Office de Vigiles.

Elle est un peu modifiée, car nous chantons ce verset du psaume sous cette forme :

« Aujourd’hui, écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur comme au désert… »

Pour cette méditation, j’ai été inspirée par l’ouvrage de Paul-André Giguère, un théologien québécois [1].

Voyons ce verset de l’acclamation de plus près…


« Aujourd’hui »

L’adverbe est capital.

Il nous oriente en deux directions opposées, car il comporte à la fois un risque et une chance.

Un risque, d’abord.

Le risque majeur, évoqué dans le Deutéronome, est celui de l’oubli.

L’adverbe « aujourd’hui » est lié au mémorial du passé :

« Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d’Égypte et que le Seigneur ton Dieu t’a racheté : voilà pourquoi je te donne aujourd’hui ce commandement » (Dt 15, 15).

L’adverbe est aussi lié à l’Espérance pour l’avenir :

« Tous les commandements que je vous prescris aujourd’hui, vous veillerez à les mettre en pratique, afin que vous viviez, deveniez de plus en plus nombreux et entriez en possession du pays que le Seigneur a juré de donner à vos pères » (Dt 8, 1).

Du passé, c’est le souvenir de l’esclavage dont Dieu a libéré son peuple… et, pour l’avenir, la garantie de recevoir la vie sur la terre promise.

Et pourtant, pour le peuple, il est grand le risque « d’enfermer dans le passé l’action de Dieu » (Giguère, p. 95).

En effet, lorsque le peuple d’Israël fait mémoire de la création ou de la libération de l’esclavage en Égypte, ces interventions de Dieu ne relèvent pas seulement du passé.

La création et la libération valent aussi pour aujourd’hui et pour demain.

Si Dieu est intervenu jadis, il interviendra de nouveau : c’est l’Espérance du peuple qui s’exprime !

Il en va de même pour nous.

Le risque est grand que nous pensions : « Cette parole des écritures, cet extrait d’évangile, je le connais déjà… à quoi bon le lire à nouveau ? ».

Alors, grand est le risque de nous fermer à l’intervention de Dieu en notre aujourd’hui, de nous refuser à l’accueil de Sa nouveauté.

L’adverbe « aujourd’hui » nous apprend que la liturgie que nous célébrons n’est pas une répétition de celle des années précédentes…

 

Cette conviction nous conduit à l’autre versant.

À côté d’un risque, l’adverbe « aujourd’hui » comporte une chance !

Cet « aujourd’hui » est un jour nouveau, porteur d’une Espérance, chargé de promesses.

« Aujourd’hui, je commence », disait Abba Antoine, le Père des moines.

Cet aujourd’hui peut nous offrir un avenir nouveau, comme nous y engage le vœu monastique de conversion.

Cet aujourd’hui peut nous ouvrir l’opportunité de nous relever de nos fautes, de prendre distance par rapport à notre péché, de bénéficier d’un pardon… et de repartir à neuf !

Nous sommes dans un monde où le droit à l’oubli est mis à mal, lorsque le passé se fait lourd, avec ses souffrances, ses expériences malencontreuses ou ses errances.

Certes, justice doit être faite, mais l’Espérance chrétienne nous conduit plus loin et offre la chance de nous dégager de la culpabilité mortifère, du repli stérile sur nous-mêmes.

Si « aujourd’hui » ne peut « être un commencement absolu », « chaque matin nous place pourtant devant un avenir ouvert » (Giguère, p. 97).

Aujourd’hui peut nous conduire à une libération, nous ouvrir à plus de Vie.

Le prophète Joël nous exhorte dans la première lecture de l’Eucharistie :

« Maintenant – oracle du Seigneur – revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! »

Joël dit « maintenant » ; le psalmiste écrit « aujourd’hui ».

De part et d’autre, une invitation à ne pas regretter le passé ou anticiper l’avenir.

Mais à vivre pleinement notre aujourd’hui.

Dieu nous invite « à vivre chaque instant de manière consciente mais surtout responsable » (Giguère, p. 97).

Le seul présent, le seul cadeau qui nous est offert est le présent de Dieu, lieu de la rencontre avec Lui.

Cet aujourd’hui atteste que Dieu se fait surprise et nouveauté.

« Que Dieu vous soit neuf chaque matin ! », disait Maurice Zundel, un mystique Suisse du siècle dernier.

Aujourd’hui, en ce Mercredi des Cendres, seuil du Carême, Dieu frappe à notre porte… Et que dit-Il ?

 

« Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur »

Dans la Bible, le « cœur » n’a pas le même sens que dans la langue française.

Le cœur n’est pas seulement l’organe de l’affectivité, mais le terme revêt un sens beaucoup plus large : « en plus des sentiments, le cœur contient aussi les souvenirs et les idées, les projets et les décisions » (VTB, s.v. « cœur »).

Le cœur, organe des projets et des décisions.

Dans le livre de l’Exode, rappelons-nous les « plaies d’Égypte », où il est beaucoup question du « cœur » de Pharaon :

« Le cœur du Pharaon resta endurci ; il ne laissa pas partir les fils d’Israël comme l’avait dit le Seigneur par Moïse » (Ex 9, 35).

Ou bien dans le premier livre des Rois, où Salomon prie en demandant à Dieu :

« Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal… » (1 R 3, 9).

« un cœur endurci… un cœur attentif »

« Fermer son cœur » relève donc d’un choix, d’une liberté.

 

Organe des projets, des décisions, et donc de l’action.

Comme dans la célèbre parabole du « bon Samaritain » (Lc 10, 30-37) :

« Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort… ».

Qu’est-ce qui distingue les trois hommes qui ont vu l’homme blessé ?

Des deux premiers, le prêtre et le lévite, l’évangéliste raconte : « Il le vit et passa de l’autre côté ».

Quant au troisième, le Samaritain : « Il le vit et fut saisi de compassion ».

C’est bien le cœur qui fait la différence !

Cœur « fermé » du prêtre et du lévite ; cœur « ouvert » du Samaritain.

Se laisser toucher, être pris aux entrailles, puis agir.

« Ne fermez pas votre cœur » : l’avertissement suggère qu’un choix est possible.

Certes, « il arrive à tout le monde d’être trop occupé, trop pressé, trop centré sur soi » (Giguère, p. 110).

Distraction, peur ou refus de se laisser toucher.

Mais, en ce Temps de Carême, un nouvel « aujourd’hui » nous est offert et Dieu nous invite à ouvrir notre cœur…

 

En plus des projets et des décisions, le cœur est l’organe des souvenirs et des idées.

En ce sens, l’injonction « ne fermez pas votre cœur » nous conseille : « Comprenez bien l’aujourd’hui dans lequel vous vous trouvez… Ayez une juste appréciation de la réalité… Ne perdez pas de vue le véritable sens de l’existence humaine… de votre existence personnelle… de ce que vous vivez ou vivrez aujourd’hui » (Giguère, p. 111).

C’est la question du sens.

Qu’est-ce qui donne sens à ma vie, à mon existence, à mes attachements, à mon travail, à mes engagements ?

En somme, Dieu nous invite à exercer notre conscience et à ne pas vivoter dans l’insouciance.

Mais comment guider nos décisions, orienter nos idées, inspirer nos actions ?

 

« Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur… mais écoutez la voix du Seigneur ! »

Au cœur disponible, ouvert, le psalmiste poursuit l’invitation :

« écoutez la voix du Seigneur »

C’est bien le Seigneur qui pourra guider notre existence, inspirer nos décisions, orienter nos choix, nous accompagner sur un authentique chemin de Vie.

Nous le savons bien, « écouter » est plus qu’« entendre ».

Le verbe « entendre » implique seulement d’avoir des oreilles.

En revanche, « écouter » requiert une application, une volonté, un désir.

Or, nous savons par expérience que « nous sommes si facilement distraits, si souvent ailleurs, qu’il nous arrive de ne même pas voir ce qui est sous nos yeux, de ne même pas entendre ce qui parvient pourtant à nos oreilles » (Giguère, p. 99).

Nous faisons l’expérience en nos vies que l’écoute peut rencontrer des obstacles, extérieurs ou intérieurs : la sarabande des désirs, le flot continu des pensées, les bruits intérieurs.

En ce début d’un nouveau Carême, Dieu, par ce verset du psalmiste, nous invite à écouter, à nous « mettre en position d’écoute active… en état d’attention, en étant vraiment présent » (Giguère, p. 100).

J’attire votre attention sur l’expression « écouter la voix du Seigneur ».

Dans notre traduction du Ps 94 que nous chantons à l’Office de Vigiles, le psalmiste pose la question : « Aujourd’hui, écouterez-vous Sa Parole ? ».

Dans la traduction chantée à Vigiles, « Sa Parole » ; dans notre verset, « sa voix ».

L’hébreu confirme qu’il s’agit bien de la « voix », le terme qôl.

Et pourtant, « parole » et « voix » ne peuvent être confondus.

Si « on peut lire les paroles d’un absent », la voix, elle, « appartient à la présence immédiate » (Giguère, p. 101-102).

Il est sans doute bon de ne pas oublier les « paroles » qui ont marqué nos vies ou guidé notre cheminement : celles de nos parents, de nos éducateurs, des personnes aimées.

Mais cette invitation à écouter la « voix » de Dieu est d’un autre ordre : cela veut dire que « cette voix de Dieu se fera entendre aujourd’hui, dans ce que je vais vivre aujourd’hui » (Giguère, p. 103).

Cette Parole de Dieu n’est pas une parole morte, prisonnière des écritures, mais une parole vivante. Comme la parole d’une personne que nous aimons.

La Parole du Seigneur, Sa Présence, Sa voix s’offre à nous, à neuf, aujourd’hui.

Et cette voix du Seigneur, le temps du Carême nous invite à la découvrir dans les écritures.

Le Carême nous invite à ouvrir la Parole de Dieu.

Comme Jésus, dans l’évangile de ce jour, en Saint Matthieu :

« Toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra ».

Madeleine Delbrêl nous conseille avec humour :

« La Parole de Dieu, on ne l’emporte pas au bout du monde dans une mallette : on la porte en soi, on l’emporte en soi. On ne la met pas dans un coin de soi-même, dans sa mémoire comme sur une étagère d’armoire où on l’aurait rangée ».

 

« Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut ! », annonce St Paul.

‘Moment favorable’ pour « tendre l’oreille de notre cœur », selon la formule de St Benoît.

‘Jour du salut’ pour écouter la voix de Dieu.

Le livre de la Bible n’a pas pour vocation de prendre les poussières sur nos étagères.

Mais, par Sa Parole, Dieu désire nous rejoindre là où nous sommes, orienter nos choix, inspirer nos décisions, guider ce chemin de Carême qui commence.

Comme l’écrit encore Madeleine Delbrêl :

« On laisse (la Parole) aller jusqu’au fond de soi, jusqu’à ce gond où pivote tout nous-mêmes… Cette Parole, sa tendance vivante, elle est de se faire chair, de se faire chair en nous ».

 

En ce jour, ne fermons pas notre cœur, mais tournons-nous résolument vers Celui qui, selon le prophète Joël, est « tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour » !

En ce nouvel aujourd’hui qu’est le Mercredi des Cendres 2025, Dieu nous invite…

Ouvrirons-nous nos cœurs et nos vies à cette invitation ?

 

Sr Marie-Jean Noville (5 mars 2025)


 

[1] Paul-André Giguère, Le psaume du matin « Venez, crions de joie ! » Psaume 95 (94), Namur, éditions jésuites, 2016.

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